samedi 12 janvier 2013

Haikus du temps présent - Madoka Mayuzumi

Haikus du temps présent - Madoka Mayuzumi

Haikus du temps présent
Madoka Mayuzumi


"Si l’émerveillement devant la nature est un sentiment partagé par toutes les cultures, l’esthétique japonaise a pour singularité de s’identifier avec elle. Le haiku, forme poétique la plus brève au monde, rend compte du lien ancestral des Japonais avec les différentes saisons et tout ce qui leur est associé : plantes, animaux, activités humaines. »
Mayuzumi Madoka







Les seuls haikus que j'avais lus avant ce livre se trouvaient dans des restaurants japonais ou des magasins de thé. Autant dire que je n'y connaissais rien en haiku et assez peu en poésie, c'est donc avec une grande curiosité mais également beaucoup de prudence que j'ai abordé le thème imposé pour le mois de janvier par le challenge Sur les pages du Japon


Haikus du temps présent - Madoka Mayuzumi
Après réflexion, j'ai décidé de me plonger dans Haikus du temps présent de Madoka Mayuzumi aux éditions Picquier.
Le choix d'un auteur contemporain m'a semblé adéquat pour faciliter la compréhension des textes. 
De plus, j'ai été attiré par le choix de l'éditeur et de l'auteur d'expliquer les haikus et ainsi de les faire découvrir aux néophytes tels que moi. 

Née dans la préfecture de Kanagawa en 1962, Madoka Mayuzumi est une haïjin (personne écrivant des haïkus) reconnue. Mayuzumi Madoka a été nommée « ambassadrice de la culture japonaise en France » en 2010 et a enseigné le haiku à la Maison de la Culture du Japon à Paris. 

Le livre commence par une courte introduction de la traductrice nous expliquant ce qu'est un haiku sur le plan syntaxique, historique et humain. Une introduction fort réussie, où on découvre l’intérêt premier des haikus mais également la difficulté à les traduire et à en rendre l'entière profondeur.

J'y ai découvert que les haikus, avant d’être des poèmes retranscrits sur papier, étaient partagés en groupe à l'oral dans une volonté de communion avec les autres et avec la nature. Cette forme de poésie est l'art du non dit, du suggéré. On y exprime ses sentiments devant un évènement ou un paysage, le tout lié à une saison.

Le livre est d’ailleurs présenté en quatre partie :

LE PRINTEMPS 春
L’ÉTÉ 厦
L'AUTOMNE 秋
L'HIVER 冬

La taille des haikus est très réduite (dix-sept syllabes, découpées en trois segments de 5, 7 et 5). Il n'y a donc souvent qu'une impression fugace qui passe du texte au lecteur. Cette impression par contre va se développer dans l'imaginaire du lecteur, s'associer à son vécu et provoquer de l'émotion. Je conseille aux futurs lecteurs de ce livre de lire l'haiku sur la page de droite avant de lire les explications de l'auteur et de la traductrice sur celui-ci. Cela permet de se l'approprier complètement sans être influencé.

Il convient de saluer ici le travail de la traductrice. Son introduction est claire et donne envie de se plonger dans cet univers poétique. Les explications qu'elle fournit pour chaque haiku nous éclairent sur le Japon et sa culture. Je m’intéresse depuis des années maintenant à ce fabuleux pays mais j'ai pu mesurer aux travers de ses explications que j'avais encore beaucoup à découvrir. Pour terminer sur ce sujet, la traduction des haikus  arrive à retranscrire les émotions malgré la barrière de la langue. On perd souvent le rythme du haiku et donc une partie de sa musicalité mais on conserve son essence, l'émotion.

En ce qui concerne la traduction des haikus, le rythme 5-7-5, artificiel en français, a été résolument ignoré, l’accent étant plutôt mis sur la restitution des nuances émotionnelles et le respect, dans la mesure du possible, de l’amplitude propre au haiku, sous-tendue par une ambiguïté inhérente à la langue japonaise.


Certains haikus m'ont laissé perplexe à leur première lecture, je n'ai su ou pu me les approprier. Ils étaient peut-être trop éloignés de ma propre expérience ou de ma propre culture. Heureusement, les commentaires m'ont permis de comprendre leur signification et ainsi de partager en partie l'émotion de l'auteur.


pierre papier ciseaux
encore à égalité!
la montagne rit



D'autres m'ont par contre de suite emporté. J'ai pris le temps de les apprécier, de les relire avant même de lire les explications. Une fois celles-ci dévoilées, j'ai pris du plaisir à les relire encore et à retrouver l'émotion de ma première lecture.


devant les cerisiers en fleur
on ne peut douter
des lendemains


A la lecture de ce livre, j'ai très vite eu envie d’écrire moi même un ou deux haikus. Emporté par cette lecture poétique, j'ai revécu un moment marquant de ma vie, ce haiku en est ma retranscription :


Souffle vent frais des souvenirs 
Fais voler au loin 
les fleurs de cerisiers


Ce haiku n'est probablement pas très bon, mais son écriture fut pour moi comme un baume sur une blessure pas si ancienne que ça. 
Je vais essayer de l'expliquer à la façon de Madoka Mayuzumi.
Mon père a été hospitalisé en janvier 2010 dans un état critique. Son état ne laissait plus place à l'espoir, je ne pouvais plus converser avec lui et c'est avec regret que je suis reparti dans le Nord pour reprendre le travail. Pendant cette période, j'ai vécu comme dans un brouillard au sein duquel coexistaient la tristesse et les souvenirs. Quand en mars, l’hôpital m'a appelé pour m'annoncer qu'il fallait que je descende en urgence car "c'était la fin", j'ai sauté dans un train et je suis retourné dans le Sud de mon enfance. Les jours qui suivirent, je n'ai pu le voir que quelques heures par jour. Il était la plupart du temps inconscient et les rares fois ou je l'ai revu conscient il n'était plus lucide, il ne me reconnaissait plus. 
Le reste de la journée, j'étais seul dans le Sud de mon enfance. J'ai fait un voyage dans le temps, retrouvant mes anciennes maisons, mes anciennes écoles, ...
J'ai eu besoin à ce moment là de m'isoler et j'ai consacré de longues plages de mes journées à la marche.  Lors d'une de ces marches, en haut d'une colline qui surplombe un étang, j'ai trouvé un calvaire et à coté de celui-ci un petit cerisier en fleur. Je me suis arrêté un moment en regardant sans vraiment le voir ce cerisier balayé par le vent. Je pense que c'est à partir de ce moment que je suis arrivé à reprendre pied. J'ai laissé s'envoler ma tristesse. Le passé est redevenu le passé et j'ai poursuivi ma route.

Pour conclure, Haikus du temps présent m'a séduit par sa délicatesse et sa subtilité. C'est un livre qui plaira autant aux habitués de haikus qu'aux néophytes qui trouveront dans les explications de l'auteur et de la traductrice les clés nécessaires à la compréhension de l'oeuvre. 


Note : 8/10


5 commentaires:

  1. Très bel article et touchant. Merci à toi de nous avons fait partagé ces souvenirs. Je ne sais pas quoi dire d'autres...

    RépondreSupprimer
  2. Merci de nous faire partager tes émotions.
    Je me suis beaucoup moins livrée dans mon billet.

    RépondreSupprimer
  3. Je saisie tres bien ce que tu "haikutes" - du verbe "haikuter" = ecrire des haikus. ^^,
    La traduction, bien ou mal faite, apporte, meme avec un contre-sens, une autre dimension au haiku. On comprend alors autre chose, saine ou malsaine, mais l'émotion, que porte tout poème, étreint trop fort le lecteur.
    Ma soeur dit souvent qu'un poème est aussi long que la vie. C'est une fofolle de poésie, c'en est presque à parler en vers. ^^, Encore plus pour un haiku et quand c'est relié à notre propre vie.

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...