samedi 15 décembre 2012

L'interview du mois #2 : Philippe Picquier


Editions Philippe Picquier
Le mois dernier, pour débuter cette rubrique, j'avais décidé d'aborder la littérature de l'imaginaire en donnant la parole à Stéphane Marsan des éditions Bragelonne. 
Ce mois-ci, je vous propose d'explorer avec Philippe Picquier ma deuxième passion : la littérature asiatique. 
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore les éditions Philippe Picquier, cet éditeur est spécialisé dans la publication de textes venant d'Extrême-Orient. En amateur de littérature japonaise, j'y ai trouvé de nombreux bijoux et c'est donc un grand plaisir d'interviewer M. Picquier.





Bonjour M. Picquier et merci d'avoir accepté de répondre à mes questions.

Comment vous est venu l'idée de créer une maison d'édition exclusivement dédiée à l'Asie ? Pourquoi l'Asie plutôt que l’Amérique du Sud ou n'importe quel autre continent ?  

Un faisceau de coïncidences m'a entraîné en Asie, il y a maintenant 26 ans. Quand la France se mettait à lire de la littérature étrangère, quand une nouvelle génération de petits éditeurs convaincus- comme Anne-Marie Métailié, Actes sud ou Rivages - se lançait avec audace à la découverte de mondes littéraires quasiment déserté par les grandes maisons, je me suis lancé à leur suite dans cette aventure, avec la conviction que l'Asie était suffisamment vaste pour qu'on ne s'occupe que d'elle. Difficile de ne pas se dire convaincu quand l'Asie exerçait sur moi, depuis longtemps déjà, une sorte d'attraction faite de lectures, de rêves de pacotille, de films et d'images qui me faisaient mesurer encore plus l'écart entre ce monde et moi. Un écart fait de contresens et de malentendus qui s'est progressivement réduit grâce à de multiples amitiés, à de nombreuses rencontres : les fantasmes se sont progressivement évanouis et n'est resté que le besoin du réel.
Autre coïncidence : je travaillais alors dans le monde de l'édition et j'ai pu rapidement mesurer que ce territoire asiatique était en friche et que je pourrais pleinement remplir ce rôle d'éditeur en offrant à lire de nouveaux livres en convaincant de nouveaux lecteurs.
Dernière coïncidence bénéfique : c'est à cette époque que levait une nouvelle génération de traducteurs et de penseurs qui, avec patience et aimablement, m'ont entraîné dans cette aventure ainsi que dans un apprentissage de ces cultures. Le reste est assez simple : plus vous découvrez, plus vous aimez ; plus vous aimez plus vous entretenez le désir de découvrir, dans une spirale de curiosité qui ne m'a jamais quitté. 


Vous publiez actuellement des romans, des essais, des livres pour enfants et des livres d'art. Le monde du livre est en crise, mais on note un engouement certain pour l’Asie (et en particulier le Japon). Pensez-vous qu'il s'agisse d'un secteur porteur malgré la crise ?


Une maison d'éditions se construit sous le regard des autres, c'est-à-dire de ses lecteurs. Ce sont eux qui font la maison d'éditions, ce sont eux que j'essaie de convaincre depuis plus de 26 ans en dehors des modes. Vous parlez d'engouement à juste titre tant il est vrai qu'il n'y a pas de « mode » pour l'extrême-orient mais tout simplement, je crois, un intérêt qui ne cesse de croître constamment aujourd'hui au fur et à mesure que l'Asie prend une place plus grande dans le monde et qu'une sorte de métissage culturel sous toutes ses formes nous irrigue. Le livre y contribue. Qu'il s'agisse de romans, d'essais ou de livres pour enfants, notre lectorat ne cesse de se développer, même si nous subissons comme d'autres éditeurs les contrecoups d'une crise de consommation qui nous affecte aujourd'hui.
Comme je viens de vous le dire, ce n'est pas l'Asie qui résiste, ce sont les lecteurs qui nous font confiance quand le monde du livre est en train de se réinventer. Mais je pense que les petites maisons d'éditions ont une capacité de conviction qui les protège et qui – dans la mesure où elle sont vraiment singulières- leur permet de résister, car leur capacité à innover  est souvent plus grande que les autres. 


Quels sont pour vous les différences majeures entre les littératures occidentale et asiatique ? 

Je préfère ne pas me risquer à établir un catalogue des différences entre littératures 
occidentales et asiatique. On pourrait peut-être évoquer comparativement des similitudes et des différence, ce qui nous entraînerait immédiatement dans une étude historique comparative des échanges et des influences réciproques mais il ma paraît d'abord évident de faire d'abord d'abord ce travail entre les cultures asiatiques elles-mêmes. Nous parlons sommairement d'une soi-disante « littérature asiatique » qui n'existe en fait que pour nous, au point que nous ne voyons pas les écarts qui séparent le monde chinois, du monde japonais ou indien, par exemple.  



Je parle beaucoup de littérature japonaise sur les Mondes imaginaires. Quels romans de votre catalogue conseilleriez-vous à mes lecteurs et à moi-même ?

Le catalogue est tellement diversifié !
Peut-être conseillerais-je, quelques premières lectures pour ouvrir la porte de ces pays
  • Les années douces, de l'écrivaine japonaise KAWAKAMI Hiromi
  • Compartiment pour dames de l'écrivaine indienne Anita NAIR
  • Vie et passion d'un gastronome chinois de l'écrivain chinois LU Wenfu
ajoutons aussi Le Radis de cristal de l'écrivain chinois qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature. 

Ils donneront certainement envie de lire d'autres livres de ces écrivains. Et peut-être de s'aventurer un peu plus loin. 


Quel roman est votre coup de cœur éditorial 2012 ?

C'est assurément ce roman extraordinaire du très grand écrivain chinois YAN Lianke, Les Quatre livres que j'ai publié cet automne et qui ne sera certainement jamais publié en Chine. Une œuvre forte, violente, bouleversante pour dire à voix alternées le récit de la création d'un monde, ce cauchemar que furent de 1959 à 1961, les trois années du « Grand bond en avant » imaginé par Mao et qui coûta la vie à plus de trente-six millions de personnes. On reconnaît la voix de Yan Lianke, sa langue poétique qui a la puissance d'un chant d'amour et de confiance en l'humanité. On reconanît dans ce gros roman l'écrivain de l'inoubliable petit chef d'oeuvre qui est Des jours, des mois, des années. Je publierai, à l'automne prochain un autre roman, La Fuite du temps. 


J'ai particulièrement aimé "Tokyo Sampo" et "Manabe Shima". Avez-vous prévu pour 2013 d'autres ouvrages de ce genre ?

Si vous avez aimé Manabeshima et Tokyo Sanpo, vous aimerez certainement le prochain livre de Florent Chavouet. Je ne peux promettre sa publication en 2013 
car l'auteur y travaille actuellement. Et il est trop tôt pour vous dévoiler le scénario qui évolue encore et les inventions graphiques qui lui prennent beaucoup de temps et d'énergie. Je suis impatient, comme vous. Mais je suis certain que nous serons surpris. 


Le numérique semble prendre une place de plus en plus importante sur le marché français. Pensez-vous proposer des livres sur ce support en 2013 ?

Nous proposons déjà une centaine de livres en édition numérique. Et nous poursuivons la numérisation de notre catalogue qui compte environ mille titres. 
Le marché se développe lentement et nous l'accompagnons avec confiance. 


Merci M. Picquier et à bientôt.


J'espère que vous avez apprécié cette interview. 
Retrouvez, chaque mois, l'interview du mois sur les Mondes Imaginaires !

8 commentaires:

  1. Quelle bonne idée cette interview, je suis fan de cette maison d'édition qui propose toujours des livres de grande qualité!

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    1. Oui de nombreuses pépites se cache dans le catalogue de cet éditeur.
      N'ayant pas lu les suggestions de M. Picquier, je vais me faire un plaisir de me les procurer.

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  2. Le Kawakami est très très beau. Son adaptation en manga par Jirô Taniguchi l'est tout autant.

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    1. J'ai l'adaptation de Taniguchi dans ma PAL mais je ne l'ai pas encore lu.

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  3. Tu as eu de la chance de pouvoir l'interviewer.
    Moi quand je leur pose des questions via leur site, je reste sans réponse...

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    1. Je suis en effet très satisfait que M. Piquier est accepté de répondre à mes questions.
      Ce n'est pas toujours facile car les éditeurs ont souvent un planning surchargé.

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    2. Certes; mais répondre à ses lecteurs me semblait être un signe de politesse. Et puis je ne demandais pas une réponse dans les 24 heures :-)

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    3. Peut être que ton mail est passé dans les spams ?
      Les personnes avec qui j'ai été en contact ont tous été très aimable.

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