Hitonari Tsuji
«Peu après son entrée en primaire, il avait tranquillement quitté la maison. "L'école, ça ne lui a jamais beaucoup plu", disait ma mère avec un sourire fataliste. Mon frère était donc parti sur un coup de tête, sans que rien laissât deviner cette intention. Ces escapades se renouvelèrent. Parfois il ne rentrait pas de toute une journée, voire deux.» Mais, devenu adulte, Yûji finit par disparaître pour de bon, sans plus jamais donner de nouvelles. Dix ans plus tard, son jeune frère décide de partir à sa recherche. Au cours de ce qui va vite faire figure de quête initiatique à travers les lieux cultes d'un Tokyo ultra-branché, il va découvrir tous les dangers qui guettent le «voyageur» égaré dans le monde moderne : la violence, la drogue, les sectes... L'étrange personnalité de Yûji, qui inspire à la fois répulsion et bizarre sympathie, se révèle peu à peu, pour se dérober ensuite - jusqu'au coup de théâtre final.
Après l'excellent La lumière du détroit, je replonge avec plaisir dans l'oeuvre d'Hitonari Tsuji. Avec l'arbre du voyageur, l'auteur continue à explorer la nature humaine.
On y suit le parcours d'un jeune homme qui, à la mort de ses parents, part à la recherche de son grand frère Yûji. Il n'a plus de nouvelles depuis 10 ans de ce frère à la personnalité étrange et fascinante qu'il a tant admiré lors de son enfance.
Celui-ci n'est pas venu à l'enterrement de ses parents, son téléphone n'est plus en service, son appartement à Tokyo est vide.
Notre jeune héros va alors se rendre dans cette grande ville afin de mener son enquête à la recherche de son frère et de lui même.
Comme dans La lumière du détroit, l'auteur utilise la première personne pour nous plonger dans la vie de ce jeune frère. On ne connait pas son nom, celui-ci n'a pas d'importance. Il a perdu son individualité dans sa fascination et son admiration sans borne pour son aîné qui l'a pourtant perpétuellement rejeté.
Le personnage principal est donc incontestablement Yûji, le grand frère terrible. Il est absent, mais on observe au fil des pages l’influence qu'il a pu avoir sur les différentes personnes qu'il a croisées.
La progression de l'enquête ressemble à un plongeon dans un gouffre de désespoir pour ce jeune frère. Il perd peu à peu ses derniers repères, peinant à réagir.
« Des vieillards assis au bord de l'étang nourrissaient les carpes ; des étudiants dessinaient les cerisiers en fleur dans leurs carnets de croquis ; sur les bancs, des couples déjeunaient d'un repas froid préparé à la maison ; des époux en jogging faisant leur parcours au pas de course ; des dames ramassaient les crottes de chien, des familles entières se promenaient. Toutes ces petites scènes entraient dans notre champ de vision, composant un tableau plein de béatitude. On aurait dit des figures de cire exposées dans un pavillon intitulé précisément Maison du bonheur.
Cependant, étrangement, plus ce qui nous entourait semblait représenter une image fidèle du bonheur, plus je sentais monter en moi une tristesse sans raison qui menaçait de me faire perdre l'équilibre, comme si j'avais à porter non seulement mon propre malheur, mais aussi celui des autres.»
On ne peut s’empêcher de remarquer l'absurdité du comportement de ce jeune frère qui s'obstine à mimer son aîné. Celui-ci est fascinant, on ne peut pas le nier, mais il dégage une noirceur profonde.
Les personnages sont très poignants, et l'auteur réussit parfaitement à nous transmettre leurs sentiments. Ils nous apparaissent tous brisés par le passage de Yûji. Le charisme de ce dernier apparaît comme irrésistible et destructeur.
«Était-ce parce que nous ne faisions rien d'autre que chercher la trace d'un disparu, elle en moi et moi en elle ? En nous dénudant tout les deux, nous cherchions à nous laver de l'empreinte laissée par Yûji. En nous enlaçant, nous cherchions à nous délivrer de son absence.»
Hitonari Tsuji exprime magnifiquement ce désespoir ambiant d'une plume douce et poétique. Encore une fois, j'ai été complètement séduit par cet auteur. C'est intense, c'est beau !
«Je me sentais comme un papillon sorti de sa chrysalide, déployant ses ailes dans le ciel, mon corps était bien plus léger qu'une semaine plus tôt. Riant sous cape sans même savoir pourquoi à l'évocation de mes souvenirs, j'allai me promener dans les allées du parc situé juste à coté de l'appartement de mon frère. Les branches tordues des cerisiers dissimulaient le ciel. A leur extrémité, des boutons prêts à s'épanouir se tendaient comme des seins de jeune femme enceinte. J'attrapai une branche à ma hauteur et en cassai sans raison un morceau d'une trentaine de centimètres. Dans un craquement, le coeur tendre et rosé apparut sous l'écorce brune. Un tressaillement me parcourut, comme si j'avais blessé un être vivant. Je léchai l'intérieur de la branche, cela me laissa un goût amer sur le bout de la langue.»
L'arbre du voyageur est un livre poignant et poétique. Un roman à ne rater sous aucun prétexte !
Note : 8/10
«Peu après son entrée en primaire, il avait tranquillement quitté la maison. "L'école, ça ne lui a jamais beaucoup plu", disait ma mère avec un sourire fataliste. Mon frère était donc parti sur un coup de tête, sans que rien laissât deviner cette intention. Ces escapades se renouvelèrent. Parfois il ne rentrait pas de toute une journée, voire deux.» Mais, devenu adulte, Yûji finit par disparaître pour de bon, sans plus jamais donner de nouvelles. Dix ans plus tard, son jeune frère décide de partir à sa recherche. Au cours de ce qui va vite faire figure de quête initiatique à travers les lieux cultes d'un Tokyo ultra-branché, il va découvrir tous les dangers qui guettent le «voyageur» égaré dans le monde moderne : la violence, la drogue, les sectes... L'étrange personnalité de Yûji, qui inspire à la fois répulsion et bizarre sympathie, se révèle peu à peu, pour se dérober ensuite - jusqu'au coup de théâtre final.
Après l'excellent La lumière du détroit, je replonge avec plaisir dans l'oeuvre d'Hitonari Tsuji. Avec l'arbre du voyageur, l'auteur continue à explorer la nature humaine.
On y suit le parcours d'un jeune homme qui, à la mort de ses parents, part à la recherche de son grand frère Yûji. Il n'a plus de nouvelles depuis 10 ans de ce frère à la personnalité étrange et fascinante qu'il a tant admiré lors de son enfance.
Celui-ci n'est pas venu à l'enterrement de ses parents, son téléphone n'est plus en service, son appartement à Tokyo est vide.
Notre jeune héros va alors se rendre dans cette grande ville afin de mener son enquête à la recherche de son frère et de lui même.
Comme dans La lumière du détroit, l'auteur utilise la première personne pour nous plonger dans la vie de ce jeune frère. On ne connait pas son nom, celui-ci n'a pas d'importance. Il a perdu son individualité dans sa fascination et son admiration sans borne pour son aîné qui l'a pourtant perpétuellement rejeté.
Le personnage principal est donc incontestablement Yûji, le grand frère terrible. Il est absent, mais on observe au fil des pages l’influence qu'il a pu avoir sur les différentes personnes qu'il a croisées.
La progression de l'enquête ressemble à un plongeon dans un gouffre de désespoir pour ce jeune frère. Il perd peu à peu ses derniers repères, peinant à réagir.
« Des vieillards assis au bord de l'étang nourrissaient les carpes ; des étudiants dessinaient les cerisiers en fleur dans leurs carnets de croquis ; sur les bancs, des couples déjeunaient d'un repas froid préparé à la maison ; des époux en jogging faisant leur parcours au pas de course ; des dames ramassaient les crottes de chien, des familles entières se promenaient. Toutes ces petites scènes entraient dans notre champ de vision, composant un tableau plein de béatitude. On aurait dit des figures de cire exposées dans un pavillon intitulé précisément Maison du bonheur.
Cependant, étrangement, plus ce qui nous entourait semblait représenter une image fidèle du bonheur, plus je sentais monter en moi une tristesse sans raison qui menaçait de me faire perdre l'équilibre, comme si j'avais à porter non seulement mon propre malheur, mais aussi celui des autres.»
On ne peut s’empêcher de remarquer l'absurdité du comportement de ce jeune frère qui s'obstine à mimer son aîné. Celui-ci est fascinant, on ne peut pas le nier, mais il dégage une noirceur profonde.
Les personnages sont très poignants, et l'auteur réussit parfaitement à nous transmettre leurs sentiments. Ils nous apparaissent tous brisés par le passage de Yûji. Le charisme de ce dernier apparaît comme irrésistible et destructeur.
«Était-ce parce que nous ne faisions rien d'autre que chercher la trace d'un disparu, elle en moi et moi en elle ? En nous dénudant tout les deux, nous cherchions à nous laver de l'empreinte laissée par Yûji. En nous enlaçant, nous cherchions à nous délivrer de son absence.»
Hitonari Tsuji exprime magnifiquement ce désespoir ambiant d'une plume douce et poétique. Encore une fois, j'ai été complètement séduit par cet auteur. C'est intense, c'est beau !
«Je me sentais comme un papillon sorti de sa chrysalide, déployant ses ailes dans le ciel, mon corps était bien plus léger qu'une semaine plus tôt. Riant sous cape sans même savoir pourquoi à l'évocation de mes souvenirs, j'allai me promener dans les allées du parc situé juste à coté de l'appartement de mon frère. Les branches tordues des cerisiers dissimulaient le ciel. A leur extrémité, des boutons prêts à s'épanouir se tendaient comme des seins de jeune femme enceinte. J'attrapai une branche à ma hauteur et en cassai sans raison un morceau d'une trentaine de centimètres. Dans un craquement, le coeur tendre et rosé apparut sous l'écorce brune. Un tressaillement me parcourut, comme si j'avais blessé un être vivant. Je léchai l'intérieur de la branche, cela me laissa un goût amer sur le bout de la langue.»
L'arbre du voyageur est un livre poignant et poétique. Un roman à ne rater sous aucun prétexte !
Note : 8/10
J'aime bien le décalage entre le sujet plutôt angoissant, la noirceur dont tu parles quant a frère et l'écriture qui me semble par contre assez poétique, comme souvent dans les romans japonais.
RépondreSupprimerHitonari Tsuji est un auteur exceptionnel. Je suis sur que tu adorerais.
SupprimerJe suis en cours d’acquisition de toutes ces oeuvres.
Prochaines chroniques de cet auteur : Le Bouddha blanc
J'aime beaucoup les passages que tu as choisi. Ils sont beaux et intriguants. Je note que tu n'as pas été le seul à choisir ce titre pendant le challenge. Qu'a donc ce livre ?
RépondreSupprimerJe me demande si je serais capable d'apprécier autant que toi ce genre de lecture, qui a la base n'est pas ma tasse de thé ?
En tout cas, très bon choix. Merci à toi pour cette dernière découverte. Au fait, est-ce qu'il finit par retrouver son frère ou pas à la fin ?
Plus que le titre en particulier, c'est le style et les histoires que raconte cet auteur qui sont sublimes.
SupprimerJ'espère que tu apprécierais cette lecture ou La lumière du détroit. C'est incontestablement un auteur à découvrir.
Pour ta question finale, je te répond en privé car je préfère ne pas faire de spoiler.
*_* haaa j'adore cet auteur, et le bonhomme est assez fun aussi dans son trip rocker amoureux de Paris. Je crois d'ailleurs que j'ai l'Arbre du voyageur qui traine dans mes étagères et je ne l'ai toujours pas lu...
RépondreSupprimerJ'adore également cet auteur. Je reçois Le Bouddha blanc lundi ou mardi.
SupprimerLe plus étonnant avec cet auteur c'est l'atmosphère qu'il arrive à créer. On se laisse totalement emporter, c'est à la fois poétique et très sombre.
Tu me diras ce que tu penses de l'Arbre du voyageur.
Chronique très intéressante, je ne connaissais pas cet auteur, merci pour la découverte. :)
RépondreSupprimerMerci à toi d’être passé.
SupprimerJ'espère que ce livre te plaira autant qu'à moi.