vendredi 19 décembre 2014

Interview "Musique, écriture et création" #5 : Jeff Beaulieu

Interview de Jeff Beaulieu


Connaissez-vous Jeff Beaulieu ? Pas encore ! Cela ne devrait pourtant pas tarder.

Jeff nous a accordé une interview haute en couleur après la sortie de son premier album « Brave new world ». Un album electro-rock-pop aux textes à fleur de peau. Dans cet album chanté entièrement en anglais, Jeff Beaulieu nous fait réfléchir au monde qui nous entoure comme l'avait fait Aldous Huxley plus de 80 ans plus tôt avec son roman éponyme.
L'album est sorti le 24 novembre, n'attendez pas pour vous le procurez.


Interview réalisée « à deux voix » avec Bertrand Kaleta, chargé de promotion chez My Major Company.

Bonjour Jeff,

ton premier album « Brave new world » est sorti le 24 novembre. Comment vis-tu ce moment ? Soulagé, stressé, euphorique ? 
Je suis ni soulagé, ni stressé et ni euphorique. Je vis ce moment comme une étape logique du projet. C’est très bizarre mais je n’ai quasiment aucune émotion. Tous les producteurs ont placé beaucoup de confiance en moi et vu que je suis dans tous les rouages, je ne peux pas m’arrêter. Ce n’est qu’une étape, ce n’est pas l’aboutissement. Il n’y a ni joie ni exaltation. Le 24 l’album est sorti mais dès le 25 il a fallu enchaîner avec la promo.

« Brave new world », c'est aussi une chanson d’Iron Maiden, un livre d'Aldous Huxley et une phrase culte de William Shakespeare. Hasard ou clin d'œil à ces grands noms ?
Brave new world, c’est d’Aldous Huxley. Je suis très engagé politiquement. C’est un album qui résume la pensée orwellienne. C’est le socialisme des années 40. Le vrai.

Peux-tu nous résumer un peu ce qu’est « Le meilleur des mondes » ?
C’est un livre écrit en 1932. Il y a aussi « 1984 »  de Georges Orwell écrit en 1949. Ce ne sont pas des livres d’anticipation comme vous aviez à l’école mais des projections sur l’avenir. Orwell était très engagé politiquement. Il a fait la guerre d’Espagne. Ces livres sont des écrits sur le fascisme mais pas celui qu’on a connu avec le nazisme. J’ai mis une citation d’Aldous Huxley  à la fin du livret. Ce ne sont pas les termes exacts mais en gros : la meilleure dictature serait une démocratie où les gens auraient l’amour de la servitude. Il n’y aurait même plus besoin d’armée. C’est ce qui se passe actuellement dans nos sociétés. Tu mets de la bouffe, de la drogue, du sexe. Une société basée sur le tout libertaire. Comme dans ces deux livres, actuellement tout est déstructuré. Il n’y a plus besoin d’un totalitarisme qui serait de toute façon difficile à mettre en place. On a induit chez l’être humain ce qui se passe en ce moment, on est dans le déni d’absolument tout. On se rend compte de rien. On est les esclaves de ce système mais le pire c’est qu’on en est content et dépendant. 

Quelles sont maintenant tes prochaines échéances ? Ton plan de promotion ? 
Mon plan est d’activer tout mon réseau marseillais sur Facebook. Je travaille la nuit et je connais beaucoup de personnes. Je suis photographe dans des boites. Beaucoup de gens me suivent à la base. Il y a à peu prêt 40% du financement qui a été levé par des copains marseillais qui travaillent dans « la nuit ». Si le projet doit fonctionner, cela passera par le coté local. C'est-à-dire tous mes potes et tous mes producteurs. La prochaine étape ? C’est de rentrer en radio. Au moins la radio locale, Radio Star qui est la plus écoutée dans la région. Avoir des articles dans « La Provence ».  Créer un buzz local pour que les gens me connaissent et connaissent ma musique et après basculer au niveau national en créant le buzz. Il y aura également 3 concerts en mars/avril sur Marseille. De gros événements. 

Il est maintenant temps de mieux te connaitre. Parlons du processus de création et de tes inspirations.
De quelle manière travailles-tu tes chansons ? Tu écris le texte puis tu le mets en musique ?
Le plus souvent ce sont des fulgurations qui me viennent du point de vue mélodique. J’ai des airs qui me viennent. J’enregistre ça sur mon dictaphone puis je retranscris sur ma gratte sèche. Ça peut aussi être avec ma guitare, les harmoniques me donnent une émotion et ça sort instinctivement. Quand une mélodie sort, je sais où je vais la placer dans le morceau. Des fois, j’ai qu’un break ou qu’un refrain et le morceau se crée autour. C’est dans tous les cas toujours instinctif. Par exemple sur « Dirty Mind », c’est mon ingé son qui trouve le « son ». Je sors mon dictaphone et les émotions me viennent et je chante. Je chante en anglais mais d’abord c’est du yaourt, il y a que des sons qui sortent avec des intonations et des fins de mots. Je travaille en équipe. La partie auteur compositeur, c’est moi. Ensuite, on développe le morceau avec Guillaume Spitz qui est mon ingé son de génie. Il va développer tous les sons et faire les arrangements.  Son travail va magnifier le morceau qui était encore à l’état brut.

Le choix du single était-il évident pour toi ? 
C’était évident d’abord car il avait le bon format. 3 min 18, c’est un bon format radio. C’est également le refrain qui rentre le plus facilement dans la tête. Les couplets aussi d’ailleurs. Il y a le coté marketing également, même si je ne fonctionne pas comme ça car il y a le mot sexe dedans. En plus, j’avais directement le scénario du clip. C’est clairement le morceau le plus « single » de l’album même si 4 ou 5 autres auraient aussi pu faire l’affaire. 


L'album est entièrement en anglais. Pourquoi ? Une façon de toucher plus de personnes ?
Je fais tout sans rien calculer. Donc ce n’est pas une façon de toucher le plus de monde. Je n’écoute que des groupes anglais. A 12 ans, j’ai eu un coup de foudre pour les Cure. A 13 ans, j’avais déjà tous leurs albums. Quand un mino à 13 ans écoute Pornography, Faith et Seventeen Seconds en boucle, c’est qu’il y a un petit souci. Ca s’est incrusté en moi. Je connais toute la discographie des Cure par cœur. Mes influences viennent de là et ensuite j’ai découvert Bowie et les Beatles. Plus tard quand j’arrive sur la scène, Garbage, les Smashing et Placebo. C’était des gros chocs. Et il y aussi toutes les mouvances comme Nirvana ou Metallica. 

Quelle est pour toi la « clé » pour écrire un bon album ?
Je n’en ai aucune idée. La clé… C’est beaucoup de travail. Peu importe le résultat. C’est ne rien attendre en retour. C’est faire le maximum. C’est dans le travail qu’à un moment une magie s’opère mais ça ne garantit pas le succès.

Ton album se termine par un superbe duo avec Devon Graves. Le bluegrass du Tennessee qui rencontre la pop electro. Comment s'est déroulée cette rencontre improbable ?
La première rencontre a été instinctive. Je l’ai rencontrée chez My Major quand j’ai signé mon contrat. C’est une personne totalement solaire. Dès que vous la voyez avec ses grands yeux et son grand sourire vous êtes scotché et elle est d’une douceur incroyable. La chanson est une histoire où je m’imaginais passer des nuits avec une fille mais rien de sexuel pour une fois. Je fais parler cette fille dans le morceau et très vite s’est imposé pour moi le choix d’un duo. Avec mon ingé son, on a fait 2 ou 3 castings. Puis d’un coup, il me reparle de Devon. On s’est dit pourquoi pas. En plus, on la connaît et elle est adorable. On a fait des tests et là c’était fantastique. Les prises de son ont été faites chez My Major où elle a chanté toutes les harmoniques du morceau. C’est ce qui donne ce résultat.

Quelles sont tes sources d'inspiration ?
Inconsciemment c'est tout ce que j’écoute… Garbage, Placebo, The Cure… Et plus personnellement moi et ma vie. Je n’ai absolument rien inventé. C’est ce que je ressens. Tout ce qui est politique, c’est par rapport à mon enfance et à mon grand père qui était résistant. Forcément cela vous forge au niveau politique, mais aussi au niveau de l’engagement, du respect et des valeurs. Les morceaux sur le sexe, c’est de l’histoire vraie.

Tu as une vie sexuelle florissante...
J’ai une grosse libido et à 40 ans, il y a beaucoup de nanas au compteur mais ça a toujours été fait dans la sincérité et dans la complicité. C’est ça le paradoxe. On m’en parle souvent. Je garde contact avec beaucoup d’ex. J’aime beaucoup les femmes. J’ai encore beaucoup d’affection pour mes ex et d’ailleurs de temps en temps j’en vois certaines. Pour moi, ce n’est pas juste du cul. C’est de la complicité. C’est un partage. Et de temps en temps, on ne peut pas vivre ensemble mais très bien s’entendre. Au final, ça rejoint un peu les thématiques d’Aldous Huxley.

Parlons maintenant, si tu le veux bien, de livres mais aussi de cinéma et de chansons.
J'ai cru comprendre que tu étais un amateur de science-fiction. Plutôt livres ou films ?
La science fiction, c’est surtout « 2001 » de Kubrick qui est mon réalisateur préféré. J’adore la science-fiction mais j’adore la science tout court. Je suis à fond dans l’astrophysique et la mécanique quantique. La science-fiction, c’est savoir d’où on vient. J’aime aussi l’astrophysique pour ça… Il y a également la Genèse, le Big Bang où on est passé d’un état à un autre instantanément. Il n’y a pas eu d’instant 0. Ce n’était qu’une transition. C’est la quête qu’on a tous en nous : Pourquoi on est là ?

Si tu devais choisir un livre à emmener avec toi en tournée, ce serait lequel ?
« Le livre de la méditation et de la vie » de Jiddu Krishnamurti. Parce que c’est le penseur qui ne se définit pas comme penseur. Il n'est ni philosophe, ni penseur, ni sage. C’est du bouddhisme ou du zen poussé à l’extrême mais sans le décorum. On est dans la réalité de l’instant. Il n’y a pas de réincarnation, de folklore, d’astrologie et toutes ces conneries là. Ça rejoint Fight Club. Les interventions de Tiger Durden sont très spirituelles. Tu as mal, tu regardes ta souffrance. C’est être dans la vrai vie, s’accepter. C’est pour ça que Krishnamurti est exceptionnel. J’ai aussi un autre livre sur moi mais il ne faut pas en faire la publicité. C’est pour ainsi dire, le livre des anonymes. Ça peut être une réflexion par jour ou douze et douze. Ce sera pour les initiés.



La bonne science-fiction raconte quoi pour toi ? De l'évasion ? Une mise en garde pour les générations futures ? Autre chose encore...
Pour « 1984 » et « Le meilleur des mondes », c’était une mise en perspective. Ils étaient conscients de ce qui se passait à l’époque. C’étaient les prémices de ce qui arrive actuellement avec cette oligarchie mondiale qui chapeaute tout et qui fait qu’il n’y a plus que deux classes dans le monde. Les très riches et les pauvres car maintenant entre le smicard et celui qui gagne 3000€ on est dans la même galère et c’est de pire en pire. Ils mettaient juste en garde sur ça et toutes les projections se sont avérées justes. Par exemple, dans « 1984 », tu as des grands blocs continentaux avec des guerres éternelles. C’est exactement ce qu’il y a en ce moment. Et dans « Le meilleur des mondes », c’est l’amour de la servitude. Je te file un ballon de foot, tu bouffes et tu es content… et tu en redemandes. On s’aperçoit que tout le monde est cloisonné et en dépression. Personne ne va bien. On ne se parle plus. On se croit exceptionnel ou alors on se prend pour une merde. On va d’un extrême à l’autre. On ne vit plus dans le groupe humain. J’ai fréquenté des fraternités et je me suis découvert. Quand tu parles à quelqu’un qui est anesthésiste puis après à un éboueur, un chirurgien et une fonctionnaire tu t’aperçois que sur le thème des émotions on est les mêmes. Tu es ni fantastique ni merdique. Tu te remets à ta place. Le statut social est juste une mascarade. C’est un jeu qu’on nous impose et à la fin c’est toujours nous notre propre ennemi.  On est dans une illusion permanente.

Est-ce que tes lectures sont sources d'inspiration ou pourraient l'être ? (« Le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley par exemple)
Oui, sans vraiment m’en rendre compte. C’est dans ma mentalité, ma façon de vivre et même dans mon label. Car c’est internet. Je n’ai pas de télé ou de radio et je ne lis pas de journaux. Pas parce que ça ne me plait pas mais ça ne sert à rien et je serais désinformé. Ca lobotomise. Ca enlèverait le minimum de réflexion que je peux avoir. La seule chose qu’on puisse faire pour l’autre, c’est soi même. C’est en montrant l’exemple ou du moins en étant sur ce chemin là. Et c’est là que les autres peuvent nous rejoindre car c’est le seul chemin valable et on le fait depuis des millions d’années. Sauf que depuis la révolution industrielle on est totalement … On s’est tous perdu entre nous et en nous-mêmes.

Est-ce que tu t’es déjà retrouvé dans certains chanteurs français ?
La chanson française, je n’aime pas trop. Ce qui me touche et que j’ai écouté c’est Gainsbourg, Thiefaine et Bashung. Très écrit et très authentique. Mais aussi Noir Désir dans leurs premières années… Et celui qui me touche le plus, c’est Daho à cause de sa voix. C’est aussi lui qui est le plus proche de The Cure dans l’idée. Il avait un groupe qui s’appelait Marquis de Sade. C’est le grain de sa voix. Il n’a pas de voix et il ne sait pas chanter, il n’a pas de technique mais sur moi il fait un effet… 

Comme Renaud, il n’a pas de « voix » mais... C’est sa voix, c’est lui.
Oui, c’est ça. C’est pour ça que j’aime que les auteurs compositeurs interprètes. C’est pour ça que j’adore Brel ou Nougaro. Tu es transe quand tu les écoutes car ils te transmettent leur âme. Et Daho, c’est tout ça. Et c’est ses textes aussi. Même si je suis hétéro à 100%, je me reconnais dans 1 milliard de ses textes. Dans tout ce qui est amour et émotion, on est tous les mêmes. On peut voir un film entre 2 homosexuels et être impressionné. 

J’ai vu « I love you Philip Morris ». J’ai était ému et je  me suis presque identifié aux personnages même en étant hétéro. 
Faut dire que le cinéma nous fait des caricatures de tout. Donc on a une façon de voir les homos comme des bobo alors que c’est pas du tout ça. Tu as de tout. Dans le cinéma, c’est pareil. Tu as « Brokeback Mountain » où c’est fantastique mais ça ne raconte pas grand-chose. Par contre « Philip Morris », c’est traité d’une façon très intelligente.

Sur le jeu de l’identité, cela rejoint Aldous Huxley. Ça rejoint aussi David Bowie et on comprend également pourquoi tu l’aimes.  Il a joué avec son identité sexuelle alors que c’était un mangeur de femme. 
C’est ça, quand tu es sur un chemin pour aller bien, pour trouver ta sérénité, il faut virer tout ce qui ne va pas. Et très vite, tu t’aperçois que tu es dans la fuite, dans le déni, dans l’illusion. Tu es au milieu de miroirs déformants. Quand tu commences à les enlever, ça te fait du bien. Tu ne t’arrêtes plus. Tu as une phase de transition difficile mais après tu décodes tout beaucoup plus vite. Les souffrances sont plus les mêmes ou sont très éphémères. Tu prends plus de plaisir avec les gens car tu les vois vraiment. 

Il n'est pas rare que des auteurs de romans soient devenus chanteurs. Comme Houellebecq que tu aimerais beaucoup je pense dans sa vision de la société. Est-ce que ça te tenterait d'écrire des romans ? Un album concept avec un roman ou une autre forme d’art.
D’autres formes d’art… Je n’en vois pas. Sur mon album, j’ai fait la pochette, j’ai fait mon logo. Il fallait que je me vende. La croix dans le logo représente le produit nocif. C’est nocif car je suis un peu corrosif mais aussi car je deviens un produit. C’est pensé, il n’y a pas que la musique. Le clip, c’est aussi moi qui l’ai écrit en grande partie. J’ai suivi toute la post-prod. C’est un projet global. Après un roman, je n’y ai jamais pensé. Pas pour le moment. 


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